Je voulais faire un billet d’humeur pour le 8 Mars : journée internationale des droits des femmes. Mais nous sommes le 9. J’ai mis du temps à rassembler mes idées, tellement submergée par l’émotion. Mais être femme, être féministe c’est aussi placer sur le devant de la scène l’émotion, le sentiment, le vécu que les Saints Patriarches considèrent illégitime, pas « scientifiques », pas ou peu valable. Je n’ai pas envie d’écrire un article sociologique, je n’ai pas envie de vous abreuver de chiffres mais de ce que je ressens, de ce que j’ai perçu, j’espère humblement qu’il fera écho dans votre cœur, votre propre histoire. Je n’ai pas la prétention de parler au nom de toutes les femmes, mais en 2025 j’estime que nous sommes des milliers voir des millions à partager ces émotions.

En ce 8 mars, mon cœur n’est pas à la fête. Nous revendiquons des manifestations joyeuses, festives et pleines d’amour, de sororité, mais je ne parviens pas à faire taire la peur, la colère et la tristesse.

Etre une femme en 2025 c’est avoir peur. Peur du présent lorsque l’on constate la montée du fascisme et du masculinisme à travers le monde, que nos droits ne cessent de reculer. Peur d’un présent où l’on est à l’abris nulle part pas même au sein de nos propres foyers. C’est avoir peur de croiser un inconnu dans une rue déserte ou dans un métro en heure de pointe. Peur de rentrer chez soi et de retrouver un mari / un père / un proche violent.

Etre une femme en 2025 c’est avoir peur de l’avenir. C’est constater et se sentir désarmée face à une crise environnementale qui s’aggrave pendant que nos dirigeants préparent la guerre et investissent massivement dans l’industrie de la destruction. C’est craindre un avenir proche où nos propres corps ne nous appartiendrons plus, quand déjà l’air, l’eau, la nourriture et les « soins » les détruisent à petit ou grand feu. C’est craindre pour nos enfants et particulièrement pour nos filles. Faire un.e enfant ? Mais je ne veux pas lui apprendre à survivre, je veux lui apprendre à vivre, respirer, profiter pleinement de ce que la terre a à lui offrir. Je ne veux pas faire grandir un.e enfant dans un monde à +2°C dévasté par le capitalisme et la guerre.

Et puis il y a la colère … une colère sourde, alimentée par des constats, des récits plus alarmants les uns que les autres :

Ces patriarches à la tête de nos gouvernements qui pensent que le monde leur appartient. Et qui continuent de creuser nos tombes en investissant des millions dans l’Intelligence artificielle, des industries toujours plus polluantes ou la guerre tandis que la terre meurt, que des milliards d’individu.es souffrent, sont déplacé.es de force. Ces dirigeants sourds, ces grands patrons, meurtriers, aveuglés, qui ne voient, n’entendent pas l’urgence du vivant qui pourtant hurle sont désarroi et sa disparition.

Mais aussi une colère collective, intrinsèque, viscérale, nourrie par les récits de mes sœurs, mères, amies … ces récits qui se ressemblent qu’importe l’époque ou le lieu. Violence, Viol, Harcèlement, Oppression. Une colère qui dévore lorsque je réalise que je peux compter largement sur les doigts d’une main, le nombre de mes proches qui n’ont pas subi de VSS.

Une colère personnelle lorsque je retrace ma propre histoire. Lorsque je constate que les VSS font partie de ma vie depuis l’âge de 4 ans. Parce que je souhaite vous livrer cette histoire marquée au fer rouge par le patriarcat, la connerie des hommes et de la société :

  • 4 ans : une pédiatre trouve que mes petites lèvres sont trop collées (tout comprendre sur la coalescence labiale). Elle décide alors de les ouvrir, au scalpel et sans anesthésie. Acte qui 23 ans plus tard sera qualifié par ma psychanalyste d’excision (en effet : une incision des lèvres sans anesthésie … on s’en approche)
  • 14 ans : (parce que je vous passe le harcèlement scolaire par des garçons tous plus cons et les uns que les autres de mes 7 à mes 11 ans) Un groupe de jeunes adolescents avec la complicité de mes amies, toustes mort.es de rire, se filment en train de me gifler parce que j’ai osé dire que j’avais mes règles et que « aaaah mais c’est dégoutant on ne dit pas ces choses-là »
  • 18 ans : j’arrive en Hypokhâgne, fière de ma crinière blonde et de ma passion pour les robes colorées et fleuries. On peut penser qu’en prépa les hommes seraient plus intelligents … Eh beh non … le harcèlement reprend : je suis stupide, trop féminine, trop blonde, trop superficielle (l’un d’eux a-t-il pris au moins la peine de me parler ? Evidemment que non, ces abrutis en pantalon à velours côtelé se prenant pour les Nietzche et Sartre du 21e Siècle ne se sont pas rabaissés à m’adresser la parole plus de cinq minutes). Et puis ils ne s’arrêtent pas au jugement et à la critique. Ces sombres abrutis vont jusqu’à créer un compte facebook avec des photos de moi retouchées. Il a fallu l’intervention de mon copain de l’époque pour qu’ils suppriment ces atrocités.
  • 20 ans : j’entre à l’école du Louvre, je reviens des cours un soir un peu plus tard. Je porte un jean et un t-shirt. Un homme me viol dans une gare près de chez mes parents. (Je vous passe les détails).
  • 21 ans : je fais une tentative de suicide. Mon ex de l’époque qui avait la joyeuse habitude d’être infidèle et de dire que je n’avais pas été violée mais que j’avais donné mon cul à tout Paris (rien que ça …) se tape ma pote pendant que je suis aux urgences.
  • 25 ans : alors que je parle de ma vie affective et sexuelle (de mon crush de l’époque) avec ma belle-sœur, mon propre frère me lance avec un humour brillant « enfaite t’es un service public tout le monde te passe dessus » (Alex Hitchen, Thaïs prenez en de la graine, ça pourrait vous inspirer des punchlines)

Enfin je m’arrête là … il manque énormément d’informations et je n’ai pas non plus toujours été un exemple de sororité. Je n’ai pas non plus toujours agi comme une sainte sororale et je me reproche encore énormément de choses.

Ce passage un peu long a pour objectif de faire réaliser que les violences sociales subies par une femme démarrent souvent dès son plus jeune âge, sans parler au nom d’une autre. Mais mon cœur, mon âme sont également meurtris par les violences de mes sœurs tant leurs histoires peuvent être bien pire, bien plus violentes que la mienne.

Aujourd’hui en ce 8 mars mon cœur, ma force et mes pensées vont aux femmes : les femmes racisé.es, trans, en situation de handicap, réfugié.es…

En ce 8 mars je souhaiterai que les femmes se soulèvent parce que CA SUFFIT. Nous refusons une société, un monde où notre place est celle de la victime, qui doit attendre passivement que le monde s’écroule.

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