« Not all men », mais un peu quand même

Depuis l’affaire Pélicot et le courage de cette femme qui a su affronter tous ses agresseurs et violeurs pour faire en sorte que la honte change enfin de camp, je ne cesse pourtant de me demander : comment peut-on sortir de cette violence systémique, et comment les hommes peuvent ils changer fondamentalement pour contribuer à ce changement. Je ne voulais pas initialement l’écrire au moment du procès, pour ne pas passer pour un opportuniste surfant sur l’actualité. Maintenant avec un peu plus de recul, je me dois de partager mon ressenti.

Qu’on se le dise, je crois fortement au pouvoir du collectif et je défends le droit à se réunir pour exprimer ses opinions. Juste, j’en arrive à un stade dans ma vie où je suis moins convaincu par l’impact que cela peut apporter, quand on a en face tout un système fondé sur la domination, qui traverse toutes les couches sociales de la population et s’étend jusqu’aux plus hautes sphères politiques (n’hésitez pas à vous rafraîchir la mémoire et voir qui est notre Ministre de la Justice).

Avant tout, comme d’autres hommes, je ressens une telle honte face à l’agissement de certains mâles et des discours qui infusent auprès des plus jeunes générations. Je suis forcément inquiet sur l’avenir, anxieux à l’idée d’assister à un avènement d’un monde dystopique à la Handmaids Tale. L’arrivée au pouvoir de Trump, l’explosion de discours misogynes n’aide pas, mais alors pas du tout à apaiser mes angoisses, au contraire. Cependant, je refuse de rester les bras croisés et attendre que tout cela arrive, je refuse de faire partie des all men comme je refuse cet argument facile et lâche du « not all men ». Le dire ne suffit pas, se laver la conscience n’aidera pas à changer les choses.

Donc, plutôt qu’une logorrhée, je veux réfléchir aux pistes possibles pour ceux qui souhaitent humblement modifier la trajectoire vertigineuse prise par notre société. Déjà, pour moi le « not all men » m’insupporte parce qu’il tend à individualiser le problème, alors qu’il est collectif. En 2023, 99% des personnes condamnées pour violences sexuelles étaient des hommes. Bien que tous les hommes ne soient pas concernés, ce chiffre démontre tout de même l’extrême responsabilité du sexe masculin et de sa construction dans les VSS. De plus, comment une femme peut faire la distinction entre les bons et les mauvais face à de tels chiffres ?

Déconstruire cette posture demande d’opérer un double travail : d’une part, démontrer que la critique du patriarcat ne vise pas les individus mais bien un système ; d’autre part, proposer un horizon alternatif qui permette d’envisager un monde au-delà des dominations genrées.

Réaliser que potentiellement « all men » peuvent avoir un comportement problématique et violent est la première étape.

Pour désamorcer ce réflexe défensif, il faut

  • Distinguer le système des individus : Il ne s’agit pas d’accuser chaque homme personnellement mais de pointer une structure qui avantage les hommes en tant que groupe. Expliquer cela peut aider à éviter que certains se sentent attaqués et réagissent par rejet.
  • Illustrer l’ampleur du problème : statistiques, témoignages et analyses permettent de démontrer que les violences et inégalités de genre ne sont pas des cas isolés mais des phénomènes structurels.
  • Faire un parallèle avec d’autres injustices : Expliquer que dire « not all men » revient à dire « not all white people » face au racisme ou « not all rich people » face aux inégalités économiques. Ce n’est pas parce que tous ne sont pas actifs dans la domination qu’elle n’existe pas.

 

Une fois ces distinctions et parallèles tracés, je suis persuadé qu’il faut arriver au deuxième étage de la fusée, et proposer une autre vision de la place des hommes et sortir du modèle patriarcal. La masculinité ne peut être tenue entre les mains d’une vision dominatrice, agressive. Et il faut bien comprendre que le patriarcat n’est pas inné, mais qu’il passe par l’éducation et la transmission de valeurs, d’images dès le plus jeune âge.

  • Promouvoir des masculinités alternatives : Le patriarcat n’est pas un destin, et des formes de masculinité plus égalitaires et bienveillantes peuvent être encouragées, en valorisant l’empathie, le partage des responsabilités et l’ouverture aux émotions.
  • Changer les récits culturels : Les médias, l’éducation et l’art doivent porter d’autres représentations des rapports de genre, en mettant en avant des modèles non dominants.
  • Dégenrer les rôles sociaux : Réduire la binarité stricte des rôles homme/femme dans le travail, la parentalité et l’espace public est essentiel pour sortir d’un modèle oppressif.
  • Encourager la participation active des hommes au féminisme : plutôt que de se sentir attaqués, les hommes peuvent être des alliés en écoutant, en déconstruisant leurs privilèges et en agissant, à travers des ateliers, des formations professionnelles.

 

Comme le rappellent de nombreuses féministes en manifestations ou dans les ouvrages, que ça soit Myriam Bahaffou dans « Des paillettes sur le compost : écoféminisme au quotidien » ou bien encore Kate Manne, les hommes semblent encore s’octroyer naturellement des droits, des prérogatives supérieures aux femmes.

Baptiste Baulieu constate que la notion de consentement est pourtant également enseignée entre garçons et filles dans l’enseignement. Pourtant le résultat sur le consentement est fortement déséquilibré d’un côté. Et heureusement que des hommes se questionnent aussi, même si notre rôle doit être de soutenir les femmes, non de leur voler la parole et de mettre sur le devant de la scène des hommes, surtout lorsqu’ils peuvent être problématiques (Antoine Goretti si tu nous entends)

Je n’arrête pas de me demander ce que signifie être un homme, et pourquoi nous avons ce droit supérieur, comment on se l’est approprié et comment on peut au quotidien le partager. Et je ne veux pas que ma parole ait plus de poids que celle des femmes qui portent ce combat depuis bien plus longtemps que mois et vivent dans leur chair les inégalités. Qu’on se le dise, je suis tout autant une partie du problème!

Finalement, sortir du patriarcat ne signifie pas seulement libérer les femmes des oppressions, mais aussi permettre aux hommes de ne plus être enfermés dans des normes rigides et destructrices. Il s’agit de construire ensemble une société où le genre ne détermine plus les droits, les attentes et la valeur d’un individu.

Et enfin, si tout cela ne suffit pas à profondément changer les mentalités, il y aura toujours moyen d’avoir un arsenal répressif bien plus important (bon c’est là que je me rappelle à nouveau du Ministre de la Justice actuel…). Après tout, ne cramait on pas les hérétiques sur le bûcher au Moyen-Age ? Je dis ça …

plus d'articles